lundi 22 juin 2015

Le signe des 4



Par Oddjob
 


À Fury Magazine, chaque nouvel article vient un peu plus appuyer l’une de nos devises favorites : "L'avenir appartient au passé !".
Pour autant, nous, à Fury, le monde moderne, ce n’est pas avec des slogans politico-vaseux ou ésotérico-poisseux qu’on lui dit ce que l’on en pense. Mais astucieusement et simplement avec notre contre (ou sous, faites votre choix) culture ! Ainsi, c’est Moinet avec sa sempiternelle célébration de Bob et Bobette (il nous aura eus à l’usure à force de nous faire l’article sur les mérites de Vandersteen, car finalement on a cédé et ce fut le choc du Trésor de Beersel… mais c’est une autre histoire). C’est HKFF avec son insatiable appétit vestimentaire de pépette so casual. C’est GetCarter et son irrésistible attirance pour cet obscur objet du désir qu’est… l’automobile, en grand ou petit format. Et c’est aussi Wally Gator (si si !), tranquille pêcheur à ligne des sommets faisant fi du bougisme ambiant…
D’où notre goût à tous pour les listes, les tops 5 ou 10. Une manière de se rassurer, certes, contre les outrages du présent et la vulgarité de l’immédiateté. Mais, surtout et avant tout, un moyen de préserver l’essentiel avant le désastre annoncé !
Et aujourd’hui, c’est moi qui m’y colle… avec les adaptations de Sherlock Holmes au cinéma.
Pourquoi ? Pourquoi pas… Après tout sans lui, le détective privé, l’élégance, la misanthropie, la misogynie, la cocaïne, l’Angleterre victorienne, les gouvernantes, le célibat assumé et revendiqué, le brouillard, le thé, l’amitié masculine, le violon, le fauteuil club, les Alpes autrichiennes, les docks de Londres … rien de tout cela n’aurait eu la même saveur, la même empreinte dans nos souvenirs de lecture et de films.
Ainsi, dans notre palmarès, s’étalant  sur quatre marches, n’ont pas été retenues les adaptations avec Basil Rathbone dans le rôle titre. Non pas que les intrigues originelles de Conan Doyle y soient trahies. Bien au contraire. Mais la transposition dans les années 40 dénature quelque peu l’ambiance, du coup plus proche de La Marque Jaune. Pas plus que les deux épisodes réalisés par Guy Richie. Car s’ils sont efficaces visuellement et esthétiquement, une certaine complaisance dans la violence gratuite et une démagogie toute moderne les éloignent d’une véritable fidélité "spirituelle" qu’exige une telle adaptation.
Pour la première marche du podium, The Seven Per Cent Solution (Sherlock Holmes attaque l’Orient Express) a longtemps tenu la corde : la rencontre avec Freud, les illusions opiacées, un docteur Watson merveilleusement composé par Robert Duvall… Tout est fort bien mis en place. Mais c’est une autre aventure, bien plus originale encore, qui lui dame le pion : Young Sherlock Holmes (Le Secret de la Pyramide). Ou comment raconter avec brio LA rencontre du futur détective et de son Watson de médecin, à la Brompton Academy. Tous les éléments clés de la carrière de Holmes y sont peu à peu amenés avec jubilation et gourmandise. Ainsi du deerstalker (le fameux couvre-chef de chasse), de la pipe, de l’inspecteur Lestrade déjà dépassé par les événements, jusqu’au "fidèle" ennemi, Moriarty, professeur émérite et escrimeur redoutable, mais surtout grand maître d’une secte d’adorateurs d’Osiris…





En troisième position, on retrouve les pensionnaires du 221b Baker Street aux prises avec Jack l’Eventreur. La vieille garde nous conseillera A Study In Terror (Sherlock Holmes contre Jack l’Eventreur) à l’ambiance gothique digne de la Hammer (le film date de 1965) et dont le propre fils de Conan Doyle, Adrian, est le co-producteur. On lui préférera tout de même Murder By Decree (Meurtre Par Décret). Réalisé plus tardivement, en 1979, il met en scène Christopher Plummer et James Mason dans les rôles respectifs de Holmes et Watson (on savourera également la présence de David Blow Up Hemmings en inspecteur du Yard). Duo qui pourrait bien être le meilleur formé devant la caméra. Traquant le fameux éventreur de Whitechapel, parcourant les bas fonds londoniens, ils découvriront la vérité (une des hypothèses reprise dans From Hell) au plus haut sommet de l’Empire britannique. Ici l’horreur n’est plus gothique mais viscérale et chaque apparition du fiacre du tueur distille une peur des plus macabres. 





La deuxième place est, elle, toute trouvée, avec The Private Life of Sherlock Holmes (La Vie Privée de Sherlock Holmes). C’est le plus bel hommage aux personnages de Conan Doyle. Mise en scène jouissive de Billy Wilder qui s’en donne à cœur joie dans la réappropriation des passages obligés des romans. Car pour ce dernier, Holmes n'est pas un moraliste, ni un redresseur de torts qui veut livrer les criminels à la justice. Cela, il s'en moque. Ce qui l'intéresse, c'est de résoudre l'énigme. Son grand regret, ce n'est pas qu'il y ait des crimes, mais qu'il y ait des crimes sans imagination ! Et puis comment résister lorsque sont convoqués des nains, le monstre du Loch Ness, une diva russe, la Reine Victoria et… Christopher Lee en Mycroft Holmes !


Mais pour autant la première place ne pouvait que revenir à une adaptation d’un roman original. Et quelle adaptation, The Hound of The Baskervilles (Le Chien des Baskerville). L’unique, hélas, production de la Hammer, mettant en scène le personnage de Holmes, avec Terence Fisher aux manettes (après deux Frankenstein et un Dracula), le hiératique Peter Cushing dans la redingote du détective et l’aristocratique Christopher Lee en dernier héritier de la famille maudite des Baskerville (Terence Fischer récidivera quant à lui dans cette veine en réalisant Sherlock Holmes et le Collier de la Mort, je vous passe  le titre en allemand, avec cette fois Lee en Holmes et la présence de la belle Senta Berger, actrice autrichienne plusieurs fois remarquée chez Peckinpah. Malheureusement, je n’ai jamais vu la couleur de cette bobine…). Mais, ce qui fait sans doute l’un des attraits premiers et la vraie vedette du film, c’est la lande, glaçante d’effroi, abritant la bête, terrifiante pour celui qui s’y aventure, et rappelant dans ses entrailles les âmes perdues. Gothique certes mais à la limite du fantastique tant les paysages lugubres du Dartmoor confèrent au récit cette ambiance toute à la fois mélancolique et horrifique. Bref le chef d’œuvre absolu en la matière et palme d’or de notre sélection.


 Elémentaire, tout bonnement élémentaires, très chers lecteurs !

vendredi 12 juin 2015

Lee mortel

Par Hong Kong Fou-Fou (Manchu)




A Fury Magazine, on aime les vieux acteurs, les vieux dessinateurs, les vieux musiciens, les vieux sportifs, et nous-mêmes nous ne sommes plus de première fraîcheur. Du coup, inévitablement, de temps en temps l'une de nos idoles mord la poussière. Pour ne pas altérer l'ambiance gaie et enjouée qui règne dans nos colonnes, on évite de trop en parler, on attend que ça (tré)passe. Mais là, il s'agit quand même de Sir Christopher Lee, purée ! Environ 225 films au compteur, une carrière qui s'étale sur plus de 65 ans, le plus grand méchant du cinéma. Depuis hier les hommages tombent de tous les côtés, même le Figaro, même l'Humanité en ont parlé ! Pour Fury Magazine, le chantre de la culture pop(ulaire), impossible de faire le mort et de ne pas se fendre d'un petit laïus à la mémoire de ce merveilleux acteur... Combien d'heures passionnantes ai-je passées devant la télé, essayant de  tromper mon angoisse en mordillant mes ongles de mes petites dents tandis que lui plongeait les siennes dans le cou diaphane d'une jeune vierge ?
Voyons, que nous dit notre omnisciente secrétaire Vickie Pedia sur le personnage ? Naissance en 1922 à Londres, dans le très chic quartier de Belgravia (un nom qui le prédestinait quand même un peu à interpréter un certain comte noctambule dans une obscure province des Carpathes). Son papa est lieutenant-colonel au 60th King's Royal Rifle Corps, sa maman est la comtesse Carandini di Sarzano. Des études à Wellington et à Eton, de petits jobs de coursier dans la City de Londres. A 18 ans, départ pour la Finlande, afin de rejoindre les volontaires combattant les Rouges lors de la Guerre d'Hiver. Pendant la deuxième guerre mondiale, il intègre la R.A.F. Comme il parle couramment l'allemand (ainsi que le grec, l'italien, le français, l'espagnol, le suédois, il baragouine quelques mots de latin - disons qu'il aurait pu sans problème se commander un mulsum dans une taverne romaine de l'Antiquité), il est parachuté derrière les lignes allemandes, menant quelques opérations anti-nazis que n'auraient pas reniées les Inglorious Basterds.
Après la guerre, dont il revient capitaine, il touche au théatre et à l'opéra, avant de démarrer timidement devant une caméra en 1948. C'est seulement en 1957, avec sa rencontre avec Terence Fisher, que sa carrière va décoller. Il incarne pour la première fois la créature de Frankenstein, et sa voie est désormais tracée : il sera abonné aux postiches, aux masques en latex, aux mâchoires en plastique et jouera tout un tas de créatures plus ou moins monstrueuses, de vilains à l'esprit aussi tordu que celui d'un inspecteur du fisc souffrant de constipation. Citons le cruel docteur Fu Manchu (de Jess Franco, qui le dirigera six fois), Raspoutine le moine fou, le comte Dracula bien sûr, une momie, un loup-garou, Scaramanga dans le second James Bond avec Roger Moore (pour la petite histoire, Lee est cousin par alliance avec Ian Fleming, je ne savais pas où le placer, ici c'est pas mal).
Sa filmographie est longue comme un jour sans pain : il est bien sûr l'un des acteurs-vedettes de la Hammer, avec Peter Cushing (23 tournages ensemble, quand même, dont "Le chien des Baskerville" qui est probablement l'un des plus beaux films jamais tournés par la célèbre firme). Il joue les pirates, les mousquetaires, les cowboys, les espions. Il apparaît également à la télévision, notamment dans l'épisode "Interférences" de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, dans le rôle du professeur Frank N. Stone, fallait oser.
Christopher Lee, c'était un immense acteur, au propre (1,92 m, quand même) comme au figuré. Sobre, racé, à la stature aristocratique. Difficile de renier ses origines.
Il n'aura jamais arrêté de tourner, donnant le meilleur de lui-même quel que soit le film, chef d'oeuvre ou navet, et, même quand il s'agissait d'un navet, jamais pour faire bouillir la marmite... Il aimait ça, tout simplement, ce qui explique qu'il se soit retrouvé dans Police Academy 7 ou Les Rivières Pourpres 2, et qu'il ait donné la réplique à Bernard Ménez dans "Dracula père et fils". Dans les années 2000, Tim Burton fait beaucoup appel à lui, pour "Sleepy Hollow", "Frankenweenie" ou "Charlie et la chocolaterie". Ses derniers grands rôles sont bien sûr celui du Comte Dooku dans Star Wars ou de Saroumane dans le Seigneur des Anneaux.
Une fausse note, quand même : il a participé à plusieurs projets musicaux avec des groupes de heavy metal. Il a même sorti un album solo sous le nom de Charlemagne en 2010. Du métal symphonique. Hmm hmm. J'avoue que je n'ai pas poussé le professionnalisme jusqu'à écouter ça.
Ce qui me console, c'est qu'il a dit : "Je pense que, à l'exception du domaine des sciences et de la médecine, nous vivons une époque de déclin. Regardez le monde. Il y a un déclin dans la morale, les idéaux, le comportement, le respect, la confiance. Dans tout, en fait." Le plus célèbre des morts vivants doit être content d'être un mort mort, alors.


Quand même, s'appeler Lee et pouvoir être tué par un pieu, c'est cocasse, non ?

"Au sud de Monbasa" (1956)
Comme on le voit sur la photo, un tout petit rôle...

Bruce Lee...

... Christopher lit

Finissons par un conseil amical : à l'approche de l'été, n'oubliez pas de choisir une crème solaire à l'indice suffisamment élevé